BIOLOGIE
Pour assurer sa descendance, une guêpe s'associe à un parasite
viral
LE MONDE, 08/10/04
Des chercheurs français ont séquencé le génome
d'un virus très ancien impliqué dans la ponte d'un insecte.
Une guêpe qui porte en son sein un virus et le transmet de génération
en génération depuis environ 73 millions d'années, voilà
qui est déjà fascinant pour les biologistes. Lorsque l'association,
loin d'être fatale pour la guêpe, assure au contraire la survie
de l'espèce, cette curiosité de la nature devient un objet d'étude
intensif.
Une étape marquante vient d'être franchie avec le séquençage
du génome de l'un de ces virus symbiotiques, celui de la guêpe
Cotesia congregata, par l'équipe de génétique de l'Institut
de recherche sur la biologie de l'insecte (IRBI) - université de Tours-CNRS
en collaboration avec le Génoscope d'Evry. Ces travaux, publiés
vendredi 8 octobre dans la revue Science, montrent que le génome de
ce virus... n'a pas grand-chose à voir avec un génome viral.
La guêpe Cotesia congregata doit, pour se perpétuer, pondre ses
œufs dans la chenille du sphinx du tabac (Manduca sexta). La chenille sert
alors de garde-manger aux larves de la guêpe et en meurt lorsque celles-ci,
ayant atteint un stade de maturité suffisant, s'expulsent du corps
exsangue de leur hôte et continuent leur transformation à l'extérieur,
se métamorphosant en pupes puis en adultes volants.
MARIAGE À TROIS
Plus de la moitié des hyménoptères se perpétuent
ainsi. Bien entendu, l'insecte hôte ne se laisse pas faire. Son principal
mécanisme de défense consiste à entourer l'œuf du parasite
d'une sorte de capsule de cellules qui libèrent des substances toxiques
pour détruire le corps étranger. Depuis l'adoption d'un mode
de vie parasitaire par les hyménoptères au jurassique, l'espèce
hôte a constamment évolué, car les gènes lui permettant
d'échapper au parasitisme ont été favorisés. En
réponse, de nouveaux moyens d'éviter les défenses immunitaires
de la chenille ont, à leur tour, été sélectionnés
chez l'hyménoptère.
Les deux organismes ont ainsi évolué en parallèle de
manière que le parasite trouve toujours de quoi manger. Que vient faire
le virus dans cette course épuisante ? Il est tout simplement indispensable.
C'est lui qui permet à la guêpe de manipuler la physiologie de
la chenille pour que ses larves puissent se développer.
Des particules virales ayant la forme de baguettes cylindriques incluses dans
une matrice protéique sont en effet introduites en même temps
que les œufs du parasite lors de la ponte dans le corps de la chenille. Là,
les gènes du virus s'expriment, c'est-à-dire que les protéines
virales sont synthétisées et qu'elles vont servir de véritables
armes biologiques entraînant des modifications dans la physiologie de
l'hôte.
Ces modifications induites peuvent différer selon les systèmes
biologiques, mais elles sont toujours avantageuses pour le parasite. Elles
se divisent en deux catégories : l'inactivation des mécanismes
de défense de l'hôte et la perturbation de son développement.
Généralement, la chenille parasitée n'effectue pas sa
métamorphose et reste bloquée dans un stade prépupal,
ce qui permet au parasite d'achever son propre développement. Il s'agit
donc d'un mariage à trois où la chenille paie le prix fort.
Comme le souligne Catherine Dupuy, enseignante-chercheuse à Tours et
membre de l'équipe, "il n'y a pas, dans l'évolution, d'autre
exemple d'utilisation par un organisme d'un troisième partenaire viral
pour supprimer les défenses d'un autre organisme".
CONTOURNER LES DÉFENSES
Pour comprendre le rôle de ces virus, plus précisément
des polydnavirus, dans la réussite parasitaire des guêpes, il
est important de connaître, non seulement les protéines qu'ils
expriment dans l'hôte, mais aussi la manière dont leur production
est contrôlée par la guêpe ainsi que leur véritable
nature.
C'est à cela que s'emploie l'équipe de génétique
de l'IRBI. Un des enjeux, à terme, serait de réussir à
mettre au point de nouvelles méthodes de contrôle d'insectes
nuisibles grâce à une meilleure connaissance des bases moléculaires
de ces mécanismes de contournement des défenses de l'hôte.
Les résultats publiés cette semaine permettent de lever en grande
partie le voile sur les zones d'ombre qui persistaient concernant l'organisation
du génome viral, son origine évolutive et ses particularités.
Première surprise, et de taille : la séquence complète
de l'ADN - environ 568 paires de bases - de la particule virale introduite
dans la chenille révèle une organisation complexe qui ressemble
plus à une région génomique d'eucaryote qu'à celle
d'un virus ! Les eucaryotes sont des organismes ayant des cellules avec noyau
qui comprennent aussi bien les guêpes que les hommes. Mais pas les virus.
Contrairement à celui d'autres virus connus, l'ADN du polydnavirus
est très dense en gènes ; il comprend au total 156 régions
codantes, dont 42 % n'ont pas d'homologie avec des gènes déjà
décrits. De plus, ce génome ne contient aucun ensemble de gènes
que l'on puisse relier à une famille virale connue ni de gène
similaire à un gène capital de virus.
Autre caractéristique singulière, l'abondance des familles de
gènes : 66 gènes sont organisés en 9 familles. Autre
fait intéressant, les protéines produites à partir de
4 de ces familles de gènes contiennent des domaines précédemment
décrits dans des toxines utilisées par des bactéries
pathogènes (Pseudomonas, Yersinia, Salmonella...) ou des vers parasites,
autrement dit par des bactéries et des eucaryotes.
Les chercheurs avancent l'hypothèse que ces gènes de virulence
pourraient avoir été sortis du génome de la guêpe
au cours de l'évolution des lignées. Ces polydnavirus ne descendraient
donc pas d'un grand génome de virus : ils auraient été
construits à partir du génome de la guêpe, grâce
à un système de production d'ADN circulaire - car le génome
présent dans les particules produites dans l'ovaire de la guêpe
est constitué de 30 cercles d'ADN.
En revanche, les protéines de chacune des baguettes, ou capside, contenant
ce génome seraient d'origine virale, probablement acquises au cours
d'une infection. Les gènes impliqués dans la réplication
de ce virus originel n'ont probablement pas été transférés
dans le génome de la guêpe. "La nature, estime Jean-Michel
Drezen, chargé de recherche au CNRS, a ici développé
une technique de transfert de gènes qui fait songer aux approches médicales
actuellement entreprises pour fabriquer des pseudovirus utilisés pour
véhiculer des gènes à visée thérapeutique
et leur permettre de s'exprimer."
Catherine Tastemain
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Vers de nouveaux insecticides naturels
L'étude des bases moléculaires des interactions hôte-parasite
chez l'insecte pourrait conduire à l'identification de nouveaux insecticides
naturels et à la mise au point de produits sans danger pour l'environnement.
Mais aussi à celle de technologies innovantes pour le contrôle
des insectes. Les molécules produites par des parasites et (ou) des
virus associés, et toxiques pour l'hôte, devraient se révéler
plus sélectives du fait de la spécificité considérable
des mécanismes de régulation de l'hôte par le parasite.
Pour l'heure, une application a déjà fait l'objet d'essais :
un gène homologue de celui produit par le polydnavirus associé
à l'hyménoptère Campoletis sonorensis a été
génétiquement introduit dans des plants de tabac. Une réduction
considérable de la croissance et du développement des larves
du sphinx du tabac nourries de ces plantes transgéniques a été
ensuite observée.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.10.04
© 2002 - Université de TOURS - DL / ED - Document modifié le 12 octobre 2004