Emission du 13 avril 1999 |
Alexis Drogoul
Alexis Drogoul
Je m'appelle Alexis Drogoul, je suis chercheur au laboratoire d'informatique
de l'université Paris VI et je travaille sur des systèmes qui se situent à la
frontière entre l'intelligence artificielle et la vie artificielle et la robotique.
Ce que vous venez de voir est un robot fourmi
qui sait se déplacer sur ses six pattes. C'est l'exemple même
du type des systèmes sur lequel nous travaillons en collaboration avec des industriels
ou d'autres chercheurs du monde entier.
Ici, les techniques que l'on utilise permettent
de modéliser, en fait, chacune des fourmis de la colonie avec ses propres comportements,
éventuellement ses propres envies, ses propres buts permettent également de
modéliser, donc, les comportements qu'elle va avoir à l'égard des autres fourmis,
à l'égard de son environnement. On peut voir, ici, les oeufs, la nourriture,
etc...
Et à partir de là, en faisant interagir ces fourmis artificielles,
on essaie de se montrer capable de reproduire aussi fidèlement que possible
le comportement collectif de la colonie. A partir du moment où on reproduit
un système sur informatique, ça veut dire que l'on est capable d'en concevoir
un qui soit similaire mais pas tout à fait semblable... qui utilise les mêmes
propriétés et notamment les propriétés d'auto-organisation que l'on a chez la
fourmi.
Quand on voit une colonie de fourmis fonctionner,
on imagine assez bien qu'on puisse transformer toutes ces petites fourmis en
des petites choses mécaniques et que l'on soit capable, donc, de créer, non
pas des robots fourmis artificiels mais des colonies de robots fourmis artificiels.
La colonie robot que lon souhaite mettre dans le laboratoire est donc
constituée d'un ensemble de robots.
Vous avez dix robots qui sont, chacun, dotés d'une autonomie
au niveau du comportement et de la mobilité mais qui vont devoir mener à bien
des taches, ensemble. Qui vont devoir, par exemple, explorer leur environnement,
se communiquer éventuellement les résultats de leurs explorations afin de permettre
aux autres robots de gagner du temps, tout simplement, en allant se promener
dans le laboratoire. Et une de leur tache essentielle, ce sera, comme une colonie
d'insectes ou comme un groupe social d'animaux dans un environnement qui leur
est inconnu, ça sera, tout simplement, de survivre.
Un robot, c'est une pièce
mécanique avec éventuellement des roues, avec éventuellement des pattes, un
programme informatique dedans qui effectue le contrôle de ces roues et de ces
pattes. Grosso modo, en fait, c'est une enveloppe charnelle qui n'a strictement
rien avoir avec les systèmes que l'on qualifie le plus volontiers d'intelligents,
c'est à dire les êtres humains. Donc, toute la question et, je dirais, toute
la légitimité de l'intelligence artificielle, repose sur une position que l'on
peut ou non accepter mais à mon avis que l'on est obligé d'accepter si on souhaite
construire des machines intelligentes, c'est que pour une grande part, l'intelligence
d'un système artificiel est dans l'oeil de l'observateur.
Cest à dire, la personne qui, par exemple, va voir fonctionner un robot et en
le voyant fonctionner, en le voyant éviter les obstacles, en le voyant se promener
dans l'environnement, va commencer à penser que le robot met en oeuvre une stratégie,
met en oeuvre une intelligence quelconque, eh bien, cette personne-là se trompe
peut-être complètement. Le robot est tout simplement pourvu d'un certain nombre
d'actes réflexe qui lui permettent d'entretenir cette illusion de comportement
complexe. Cette illusion là est au coeur de l'intelligence artificielle.
Et maintenant, c'est vrai
qu'on arrive à aller encore un peu plus loin puisque ce petit animal non seulement,
je dirais, bon, ressemble à une peluche, euh, avec toutes les caractéristiques
d'une peluche, mais en plus, elle va être dotée d'un certain nombre de comportements
dont certains pourront même être relativement autonomes, donc non liés à la
volonté directe de l'enfant.
L'exemple le plus simple étant quand on souhaite endormir ce type de petit robot.
Il va refuser de temps en temps de s'endormir. Le refus va marquer l'émergence
d'une personnalité. C'est tout simplement quelque chose d'aléatoire mais que
l'on va immédiatement interpréter comme quelque chose d'intentionnel. Ce que
l'on voit ici, en fait, c'est un prototype. Il préfigure très certainement ce
que seront les jouets de demain : des choses beaucoup plus autonomes, des choses
qui pourront interagir de façon sans doute plus fine avec leurs utilisateurs
donc les... principalement les enfants... des choses qui pourront peut-être
communiquer les unes avec les autres, qui pourront peut-être former des communautés
à part entière, comme on peut le voir un peu avec les tamaguschis, par exemple,
au Japon qui depuis quelques années en tous cas, mais maintenant peuvent, par
exemple, communiquer par téléphone à l'insu de leur propriétaire.
Et même si pour l'instant, ce genre de jouet est encore très simple, on voit
très bien que tout pourrait gagner à être un peu amélioré, on est amené à la
lisière entre quelque chose que l'on fait habituellement avec des animaux domestiques,
c'est à dire leur prêter de l'intelligence, de l'intentionnalité et puis se
mettre en quatre pour eux, est quelque chose qu'on ne fait pas encore avec les
machines. Quand cette limite, un petit peu, sera franchie entre les deux, c'est
à dire qu'on aura vraiment des machines qui nous feront douter de leur statut
de machine, je pense que l'on aura franchi un énorme pas. Peut-être dans la
compréhension de la vie mais sans doute et très fortement dans la compréhension
de notre intelligence, en fait, dans la compréhension de notre façon de fonctionner
vis à vis des objets qui nous entourent.