Civilisation et chimpanzés
Depuis plusieurs millions
d'années, les forêts tropicales d'Afrique abritent d'innombrables espèces animales et
végétales et sont également le berceau de l'humanité. C'est depuis cette
région qu'il y a six millions d'années, nos ancêtres ont commencé à conquérir le
monde. Quittant les forêts, ils ont commencé à gagner les plaines, laissant derrière
eux les chimpanzés. Depuis, l'être humain et le singe ont suivi des évolutions
divergentes.
Christophe Boesch, de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste, passe
beaucoup de temps en Afrique. Au plus profond de la forêt tropicale, il étudie les
comportements complexes de nos plus proches parents.
Christophe Boesch : Le problème est qu'il est très difficile d'observer des
chimpanzés sauvages. Il faut d'abord les habituer à l'homme et ça peut prendre jusqu'à
5 ans. Ensuite seulement, on peut commencer vraiment à les observer.
Toutes les populations de chimpanzés ne présentent pas les mêmes capacités en termes
d'intelligence ou de fabrication d'outils simples, par exemple. Les chimpanzés
présentent même de grandes différences de comportement et d'habileté. Les observations
de Christophe Boesch ont montré que, dans les différentes régions d'Afrique, les
sociétés de chimpanzés ont développé des cultures différentes.
Boesch : Il y a des comportements qui sont acceptés dans certains groupes et pas dans
d'autres. On reproduit simplement ce qu'on voit : les jeunes observent leur mère et
apprennent à son contact. C'est ainsi qu'apparaissent les normes sociales et elles sont
parfois tellement importantes pour les chimpanzés qu'elles constituent presque une sorte
de carte d'identité. On peut vraiment dire que si l'on connaît le comportement d' un
chimpanzé, on sait d'où il vient.
Le jeune s'exerce à imiter ses aînés. Les modèles de prédilection sont choisis parmi
les proches parents. Ainsi apparaissent progressivement des différences au niveau de
l'usage des outils, de la manière de se nettoyer mutuellement le pelage, ou dans les
rites d'accouplement. On trouve d'énormes différences culturelles entre les sociétés
de chimpanzés et ce n'est pas toujours la méthode la plus efficace qui s'impose.
Boesch : Il existe une population en Côte d'Ivoire où
les chimpanzés pêchent des fourmis avec un petit bâton et en un seul mouvement. Ils
mangent en une minute quelque chose comme 180 fourmis. En Tanzanie, de l'autre côté du
continent, les chimpanzés pêchent les mêmes fourmis, mais avec des bâtons beaucoup
plus gros et en deux mouvements. Ils récoltent ainsi cinq fois plus de fourmis. Autrement
dit, s'ils choisissaient la meilleure solution, ils devraient tous pêcher comme en
Tanzanie. Mais ce n'est pas le cas.
Lors des recherches de nourriture, la réussite n'est liée à aucune différence
génétique. Les différentes méthodes relèvent de l'acquis. Parmi toutes les espèces
de singes, les chimpanzés occupent une place à part. Ils sont les seuls à faire un
usage intelligent d'outils. Aucune autre espèce de singe n'est véritablement capable de
les imiter.
Boesch : Nous avons régulièrement observé des situations où des chimpanzés
cassaient des noix et d'autres espèces de singes, des mangaves, regardaient les
chimpazés, utiliser un marteau... Après le départ des chimpanzés, ces mangaves sont
venus et ont mangé les restes de noix. Quand ils trouvaient des noix intactes, ils
essayaient de les ouvrir avec les dents. Il ne leur est jamais venu à l'esprit d'utiliser
un outil, pourtant ils avaient observé les chimpanzés pendant des heures.
Le cadre naturel des singes est de plus en plus limité, les populations sont menacées.
Christophe Boesch a donc fondé la Wild Chimpanzee Foundation. Son objectif est de
sensibiliser et d'informer pour assurer la survie de nos plus proches parents.
Boesch : Je travaille sur les chimpanzés depuis 20 ans et j'ai assisté au déclin
progressif de ces populations. Tous les autres observateurs des chimpanzés le
confirmeraient. C'est pourquoi j'ai fondé la 'Wild Chimpanzee Foundation'. J'espère
contribuer simplement à la survie des populations de chimpanzés dans le monde. Si
l'homme était vraiment aussi intelligent qu'on le dit, il ferait tout son possible pour
que d'autres cultures et d'autres espèces survivent. Nous ne pouvons pas accepter que le
chimpanzé disparaisse bientôt.
Au sein du monde animal, les chimpanzés sont les plus proches parents de l'être humain.
Plus de 98 % de nos gènes coïncident avec ceux du chimpanzé. L'usage des outils n'est
pas le seul argument en faveur de cette proximité ; le comportement individuel et social
de ces animaux est également très semblable à celui de l'homme dans de nombreux
domaines. La disparition du chimpanzé serait celle de tout un pan de l'histoire de
l'humanité.. |