Arte Archimède
  Emission du 27 Juin 2000


Civilisation et chimpanzés

Depuis plusieurs millions d'années, les forêts tropicales d'Afrique abritent d'innombrables espèces animales et végétales – et sont également le berceau de l'humanité. C'est depuis cette région qu'il y a six millions d'années, nos ancêtres ont commencé à conquérir le monde. Quittant les forêts, ils ont commencé à gagner les plaines, laissant derrière eux les chimpanzés. Depuis, l'être humain et le singe ont suivi des évolutions divergentes.
Christophe Boesch, de l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste, passe beaucoup de temps en Afrique. Au plus profond de la forêt tropicale, il étudie les comportements complexes de nos plus proches parents.

Christophe Boesch : Le problème est qu'il est très difficile d'observer des chimpanzés sauvages. Il faut d'abord les habituer à l'homme et ça peut prendre jusqu'à 5 ans. Ensuite seulement, on peut commencer vraiment à les observer.

Toutes les populations de chimpanzés ne présentent pas les mêmes capacités en termes d'intelligence ou de fabrication d'outils simples, par exemple. Les chimpanzés présentent même de grandes différences de comportement et d'habileté. Les observations de Christophe Boesch ont montré que, dans les différentes régions d'Afrique, les sociétés de chimpanzés ont développé des cultures différentes.

Boesch : Il y a des comportements qui sont acceptés dans certains groupes et pas dans d'autres. On reproduit simplement ce qu'on voit : les jeunes observent leur mère et apprennent à son contact. C'est ainsi qu'apparaissent les normes sociales et elles sont parfois tellement importantes pour les chimpanzés qu'elles constituent presque une sorte de carte d'identité. On peut vraiment dire que si l'on connaît le comportement d' un chimpanzé, on sait d'où il vient.

Le jeune s'exerce à imiter ses aînés. Les modèles de prédilection sont choisis parmi les proches parents. Ainsi apparaissent progressivement des différences au niveau de l'usage des outils, de la manière de se nettoyer mutuellement le pelage, ou dans les rites d'accouplement. On trouve d'énormes différences culturelles entre les sociétés de chimpanzés et ce n'est pas toujours la méthode la plus efficace qui s'impose.

Boesch : Il existe une population en Côte d'Ivoire où les chimpanzés pêchent des fourmis avec un petit bâton et en un seul mouvement. Ils mangent en une minute quelque chose comme 180 fourmis. En Tanzanie, de l'autre côté du continent, les chimpanzés pêchent les mêmes fourmis, mais avec des bâtons beaucoup plus gros et en deux mouvements. Ils récoltent ainsi cinq fois plus de fourmis. Autrement dit, s'ils choisissaient la meilleure solution, ils devraient tous pêcher comme en Tanzanie. Mais ce n'est pas le cas.

Lors des recherches de nourriture, la réussite n'est liée à aucune différence génétique. Les différentes méthodes relèvent de l'acquis. Parmi toutes les espèces de singes, les chimpanzés occupent une place à part. Ils sont les seuls à faire un usage intelligent d'outils. Aucune autre espèce de singe n'est véritablement capable de les imiter.

Boesch : Nous avons régulièrement observé des situations où des chimpanzés cassaient des noix et d'autres espèces de singes, des mangaves, regardaient les chimpazés, utiliser un marteau... Après le départ des chimpanzés, ces mangaves sont venus et ont mangé les restes de noix. Quand ils trouvaient des noix intactes, ils essayaient de les ouvrir avec les dents. Il ne leur est jamais venu à l'esprit d'utiliser un outil, pourtant ils avaient observé les chimpanzés pendant des heures.

Le cadre naturel des singes est de plus en plus limité, les populations sont menacées. Christophe Boesch a donc fondé la Wild Chimpanzee Foundation. Son objectif est de sensibiliser et d'informer pour assurer la survie de nos plus proches parents.

Boesch : Je travaille sur les chimpanzés depuis 20 ans et j'ai assisté au déclin progressif de ces populations. Tous les autres observateurs des chimpanzés le confirmeraient. C'est pourquoi j'ai fondé la 'Wild Chimpanzee Foundation'. J'espère contribuer simplement à la survie des populations de chimpanzés dans le monde. Si l'homme était vraiment aussi intelligent qu'on le dit, il ferait tout son possible pour que d'autres cultures et d'autres espèces survivent. Nous ne pouvons pas accepter que le chimpanzé disparaisse bientôt.

Au sein du monde animal, les chimpanzés sont les plus proches parents de l'être humain. Plus de 98 % de nos gènes coïncident avec ceux du chimpanzé. L'usage des outils n'est pas le seul argument en faveur de cette proximité ; le comportement individuel et social de ces animaux est également très semblable à celui de l'homme dans de nombreux domaines. La disparition du chimpanzé serait celle de tout un pan de l'histoire de l'humanité..